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A quoi sert la Grammaire ? A libérer ? A mettre en scène le spectacle du Monde ? A mieux  s'imposer et exister ?

La Grammaire exerce sur les mots [un pouvoir] qui ne se contente pas de mettre fidèlement en scène le spectacle du monde. Ce pouvoir grammatical est [libérateur] : il permet à l'homme d'imposer son intelligence au monde.

Juin 2005 ; neuf heure du matin. [La scène] se passe dans la cour d'une école maternelle par une journée ensoleillée. La maîtresse place la petite Vanessa en un point précis de la cour et demande à Tiphaine de le marquer d'une croix. Puis Kader est chargé de dessiner sur le sol le contour de l'ombre de Vanessa. Tous les enfants reviennent à 10 heures, Vannessa reprend sa place, un autre enfant dessine l'ombre projetée au sol. On fait de même à 11 heures, à midi et ainsi de suite jusqu' à 16 heures. Ainsi, à mesure que s'égrènent les heures, se succèdent les traces qui rappellent les différentes positions de l'ombre de Vanessa.

La Maitresse s'adresse alors à ses élèves et leur demande : "Que pensez-vous de ce que vous voyez par terre ?".

Presque tous les élèves répondent en choeur : "Maîtresse, c'est une fleur  et de montrer du doigt les pétales et de discuter pour savoir de quelle fleur il s'agit : rose pour les uns, marguerite pour les autres...

Mais cette maîtresse est une [résistante] (comme toutes devraient l'être). Elle ne s'en laisse pa conter. Elle ne se contente pas d'un simple constat ; la seule nomination des choses ne la satisfait pas.

- " Vous ai-je demandé de dessiner une fleur ? "

- Non ! répondent les élèvèes, mais tu vois bien que c'est une fleur.

- " Mais enfin, rappelez-vous ! Nous sommes venus ce matin et Vannessa s'est plantée là où il y a une croix et après, nous sommes revenus et on a fait pareil, et après... et encore après... " Et elle insiste, et elle attend avec patience et obstination : elle attend que jaillisse l'étincelle [Euréka] ; car cette maîtresse a de l'ambition pour ses élèves ; elle fait le pari de l'intelligence. Au bout de longues minutes courageusement affrontées, son obstination est réponsée : Vannessa, d'une voix timide, ose lui dire :

" Maîtresse, je crois que ça a tourné ".

Ah ! comme cela valait la peine d'attendre ! " je crois " dit Vanessa, montrant que [c'est bien l'intelligence qui est en marche et non seulement les yeux qui constatent et identifient]. " Ca a touné " l'emporte sur " c'est la une fleur " : le verbe " tourner " sur le substantif (fleur). Le Verbe, catégorie reine de la grammaire, donnant à la langue son vértitable pouvoir d'explication et d'argumentation. Le verbe qui ouvre horizons du futur, qui fait resurgir les récits du passé. Comme le français fait bien les choses en nommant de la même façon le mot qui articule la phrase et l'outil linguistique qui articule notre pensée : verbe qui se conjugue, Logos qui impose au monde l'intelligence de l'homme.  C'est bien cette singulière catégorie grammaticale des verbes qui manifeste l'amibition propre au langague humain : ne jamais se borner à répondre à la question : " Qu'est-ce que c'est ? ", mais tenter d'en affronter une autre d'un tout autre niveau : " Pourquoi les choses sont ce quelles sont ? "...

Grâce à la grammaire la petite Vanessa a osé privilégier la réflexion à la perception ; le choix et l'organisation des mots lui ont donné le pouvoir d'aller plus loin que son oeil le lui permettait. Cinq siècles après lui, elle a mis ses pas dans ceux de Nicolas Copernic ; les mots de cette enfant ont fait écho aux siens, audacieux et téméraires organisés par une grammaire qui portait sa pensée et l'oposait à la certitude de tous ceux qui voyaient, de leurs yeux, le soleil se déplacer au-dessus de leur tête. Face à la vérité " autorisée " il assénait, obstiné, mot après mot : " la terre tourne autour du soleil ".

Et il fut compris au plus juste de ses intentions ; et si il fut compris comme il entendait l'être, c'est parce que, au delà du simple choix des mots, il utilisa les moyens grammaticaux que lui donnait la lanque.

En positionnant  " terre " devant " tourne ", il imposait à ses interlocuteurs l'obligation d'en faire l'agent du procès "  tourner ". L'agent et pas autre chose, quelque envie qu'ils en eussent ! En utilisant la locution prépositionnelle " autour de ", Copernic donnait à " soleil " un rôle bien spécifique dans la scène que l'on devait construire. Les indicateurs grammaticaux lui donnèrent ainsi l'assurance que quelle que fût la mauvaise volonté de ses interlocuteurs, ils ne pourraient pas trahir ses intentions de parole.

Imaginons maintenant Copernic privé des outils de la grammaire. Il met dans un grand chapeau les trois mots : " tourne ", " soleil ", et " terre " ; il les mélange bien et les jettes à la tête de ses auditeurs en leur disant : " Messieurs, faîtes donc du sens ! ". Quelle mise en scène eût résulté de cette invitation ? Comme un seul homme, ses juges eussent attribué à " soleil " le rôle d'agent du verbe " tourner " et eussent fait " terre " le centre de la rotatation du soleil. Sans le prouvoir de la grammaire, les mots glissent naturellement sur la plus grande pente culturelle ; c'est l'attendu qui guide leur arrangement, c'est le consensus mou qui préside à leur mise en scène. Une langue qui se priverait du pouvoir de la grammaire livrerait ainsi ses ennoncés aux interprétations bannales et consensuelles fondées sur l'évidence, la routine et le statu quo. [La grammaire apparaît ainsi libératrice] alors qu'on la dit contraignante. Elle permet à la langue d'évoquer contre le conservatisme ce qui n'est pas encore mais sera sans doute un jour ; d'affirmer contre les préjugés ce que l'on constate pas de visu mais qui se révèlera peut être juste et vrai ; d'écrire contre le conformisme ce que l'on a pas encore osé formuler amis que les générations à venir trouveront d'une audace magnifique.

Extrait cité du " rappport de mission sur l'enseignement sur la grammaire" de Alain Bentolila., linguiste.

 

Quel est l'historique du contexte actuel ?

 D'après Alain Bentolila, "Les linguistes dans les années 1970, nous voulions être une science. Or pour être une science, il ne faut pas de Sens, seul la forme donne le statut scientifique."

Pourquoi ? sûrement parce qu'une science quand elle est à son paroxisme, n'a de sens que la science elle-même. Or la linguistique ne peut devenir une science, puisque une science se suffit à elle-même,  la grammaire, elle ne peut pas se suffire à elle même... Ainsi les languistes ont cru que la grammaire pouvait être cantonnée à la théorie, donc à elle-même, ce qui n'est pas le cas...

 

Le constat de fond quel est-il ?

Pour Alain Bentolila, "La défaite de la grammaire est la [défaite de la pensée]. Car elle permet de structurer la pensée donc l'indentité de la personne. Lorsqu'on est complaisant la dessus, on est complaisant sur la force d'une pensée qui s'exprime vers un autre mais aussi qui est plus exigeante par rapport à ce que l'autre vous dit, et aujourd'hui, c'est important!"

Or aujourd'hui "Le langage entre les parents et les enfants n'est plus le même. Quand l'école oublie la transmission, elle fait fausse route..."

Ainsi, "Le constat est que 1 jeune français sur 10 est en difficulté de lecture, et lorsqu'il est en difficulté de lecture il est encore plus en difficulté d'écriture. Et lorqu'il est en difficulté de lecture et d'écriture, bien souvent sa capacité d'argumenter, d'expliquer se trouve mise à mal. Et lorsque l'on ne sait pas expliquer aux gens, on trouve d'autres moyens de les convaincre, c'est des moyens de violence."

"Il y a cette relation assez forte entre un langage qui ne s'articule pas sur la grammaire et l'acte violent "... et "Aujourd'hui, quelque soit votre destinée professionnelle vous avez besoin de vous exprimer avec force et clareté."

"Nous vivons dans un monde dangereux c'est à dire nous devons donner à tous les enfants de ce pays la capacité de résistance et de réfutation. C'est la grammaire qui le donne. Si on ne possède pas l'outil, on est crédule, on est vulnérable."

 

Les jeunes sont-ils alors plus crédules et plus vulnérables aujourd'hui ?

Pour Alain Bentolila "La classe moyenne de notre Ecole est touchée par la faiblesse du lexique et de la grammaire."  Et "ce qui fait la force de la parole ? c'est la grammaire. Aujourd'hui, on communique dans la convenance, dans la proximité dans l'immédiateté [= on a pris cette l'habitude], que les choses vont "sans dire" et si l'Ecole s'y met, les choses iront mieux "en les disants".

 

Ecoute radiophonique du 29/11/2006 sur France Inter, invité Alain BENTOLILA, Linguiste, Professeur des universités, Paris 5 -Sorbonne. Auteur du rapport de mission sur l'enseignement de la grammaire remis à Gilles de Robien, Ministre de l'Education Nationale le 29/11/06.

- Lire le rapport sur : http://media.education.gouv.fr/file/68/3/3683.pdf

 

Retranscrit par Lauric Duvigneau

Tag(s) : #Pédagogie - enseignement - art et culture
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